Comment l’IA est intégrée chez Pierre & Vacances - Center Parcs : Entretien avec Christophe Vaudable #5
À la tête de la stratégie data, Christophe Vaudable orchestre tout, de la collecte à l'analyse des données. Il nous dévoile son quotidien, ses expérimentations, ses 1ers retours et sa vision de l'IA.
Je vous l’annonçais dans le dernier numéro de “IA, Tech & Travel Café”, et je suis vraiment très heureux de vous partager cet entretien que j’ai eu avec Christophe Vaudable, le Chief Data Officer du Groupe Pierre & Vacances - Center Parcs (PVCP). Rencontré en mai dernier lors de l’événement Next Tourisme, Christophe y intervenait pour parler Data et IA, évidemment ! J’ai trouvé ses propos très intéressants et concrets avec le partage de vrais cas d’usages en toute transparence. Quand je lui ai proposé d’échanger sur son quotidien, ses expérimentations, ses premiers retours et sa vision de l'IA… il a tout de suite accepté !
Véritable expert en machine learning et big data, Christophe a une expérience assez diversifiée qui va du e-commerce au marketing digital, en passant par l'enseignement et la R&D. Sa mission actuelle ? Transformer les données en un atout stratégique majeur pour le groupe Pierre & Vacances - Center Parcs…. rien que ça :)
Nicolas François : Quelle est la journée type d'un Chief Data Officer (CDO) chez Pierre & Vacances - Center Parcs ?
Christophe Vaudable : Ma journée type ne représente pas celle d'un CDO de Pierre & Vacances en général, mais plutôt la mienne. Je suis quelqu'un qui aime bien savoir où il va. Même si j’ai une approche assez pratique, je construis toujours une vision à 6 mois, un an, deux ans, pour avoir mon étoile polaire et savoir où je vais. Une partie de ma journée est donc consacrée à imaginer ce que je pourrais faire à l'avenir. La deuxième partie est extrêmement pratique : m'assurer que les équipes avancent dans la bonne direction et que les systèmes fonctionnent correctement. Je m'assure que nous créons de la valeur avec les départements métiers, business, marketing, et les fonctions qui font tourner l'entreprise d’un point de vue opérationnel. En résumé, ma journée est un mélange d'abstraction et d'imagination sur le futur à un, deux, trois ans, et de gestion pratique pour vérifier que les équipes fonctionnent bien et que nous continuons à optimiser nos actions.
Combien as-tu de collaborateurs dans ton équipe et avec quels profils ?
Je dirige aujourd’hui une équipe de 53 personnes qui couvre tout le spectre des métiers de la donnée. Il y a des data analysts, des web analysts, des ingénieurs data et des data scientists. Chacun de ces domaines comprend plusieurs spécialisations, mais ces 4 grandes familles de profils représentent bien notre diversité.
Comment avez-vous intégré l'IA chez PCVP et quels ont été les premiers cas d'usage développés ?
Pour démarrer on a d’abord construit un ou deux cas d'usage vitrine. Le premier, de manière extrêmement intuitive, consistait à aider le téléconseiller à répondre beaucoup plus rapidement aux questions sur les réseaux sociaux, par exemple, aux commentaires. On a un gros catalogue de produits de résidences de cottage avec beaucoup de formules et variations différentes. On a donc aidé le téléconseiller, grâce à des projets d'IA, à retrouver beaucoup plus rapidement les informations dans les différents catalogues lorsqu'il discute avec le client. Ces premiers sujets étaient concrets et sont aujourd'hui utilisés, même s'il s'agissait d'initiatives qui ne faisaient pas nécessairement partie d'une feuille de route, mais plutôt de projets à long terme.
Maintenant, une fois que ces premiers cas d'usage ont été mis en place et fonctionnent, nous allons nous attaquer à des choses plus compliquées. Nous allons intégrer la pratique de l'IA dans un programme de personnalisation client que nous avons entamé au niveau du groupe l'année dernière. Le but est de communiquer avec le client de manière extrêmement fine. Nous passerons d'un monde où nous avions 4, 5 ou 6 segments clients à un monde où nous pourrions en avoir 200, 300 ou plus. La capacité à créer du contenu devra être complètement différente et en partie automatisée pour pouvoir être assez précise dans notre manière de communiquer.
Je te donne un exemple simple : imagine que demain tu visites la page d'une résidence. Ce qui t'intéressera, ce ne sera pas les retours d'un couple de seniors ou d'un jeune couple, mais l'expérience d'une famille avec deux enfants qui raconte leur séjour, ce qu'ils ont aimé, ce qu'ils ont apprécié. Avoir une expérience de réservation, ou même post-séjour, qui te parle directement, plutôt qu'à tout le monde. L'IA nous aidera à générer ce type de contenu.
Quels sont les premiers retours d’expérience de ces projets IA ?
L'aide à la réponse aux commentaires sur les réseaux sociaux est plutôt un beau succès. Aujourd'hui, nos clients et futurs clients laissent des commentaires sur les réseaux sociaux, posent des questions ou partagent leur expérience, etc. Une des politiques du groupe est de répondre à ces commentaires de manière aussi exhaustive que possible. Avec les nouveaux outils d’IA, l'idée est d'utiliser un outil qui analyse automatiquement les commentaires et génère un premier modèle de réponse, lequel peut ensuite être adapté par le téléconseiller. En fin de compte, c’est toujours lui qui valide. L'outil génère un premier modèle de réponse et envoie la réponse aux questions dans les outils. Si le conseiller estime que la réponse est bonne, il n'a plus qu'à valider et la réponse est envoyée. Grâce à cela, nous avons réalisé des gains de productivité significatifs.
Y a-t-il eu des échecs ?
Oui bien sûr et je pense que notre plus gros échec n'est pas technique, mais réside dans le fait que ce qui avait été produit ne trouvait pas sa place. En fait, cela ne s'intégrait pas correctement dans le processus et, même si techniquement l'outil fournissait des réponses correctes, cela ne faisait gagner ni temps, ni argent, ni aux téléconseillers, ni aux clients, ni à personne. C'était donc quelque chose d'inutile. C'était un produit d'IA qui était là, mais qui n'apportait rien de vraiment utile. Le besoin n'avait pas été cerné correctement. C'est comme si on t'offrait un marteau alors que tu dois visser une étagère. C'était un échec cuisant, car le contexte avait été extrêmement mal cerné et en fin de compte, cela ne servait à rien, mis à part de faire progresser techniquement, mais sans application business particulière.
Concernant la personnalisation client, est-ce que le développement d’un agent conversationnel boosté à l’IA est un service qui vous intéresse ?
Alors, comme tout le monde, on mesure d’abord le danger de ce genre d'outil. Il y a 5 ou 6 ans, ce type d'outil ne fonctionnait pas, ou très mal, et il n'y avait aucun danger parce que la réponse était soit inexistante, soit tellement à côté du sujet qu'il n'y avait pas de problème. Aujourd'hui, on a des outils qui peuvent donner une réponse 50% vraie et 50% fausse et il devient difficile de démêler la partie fausse, ce qui est extrêmement dangereux parce que cela donne l'apparence de la vérité sans l'être vraiment. Même si cela n'arrive que dans 1% des cas, c'est extrêmement dommageable pour l'image de marque. Oui, c'est un sujet qu'on aimerait pousser parce qu'on voit bien tout le potentiel, mais on voit aussi le pouvoir déceptif que cela peut avoir pour le client et les dommages que cela peut créer sur la marque. Donc, on avance, mais de manière extrêmement raisonnée. Pour l'instant, en tout cas, on n'est pas prêt à pousser quelque chose basé sur l'IA générative directement au client.
“…on peut switcher à la volée entre OpenAI, Gemini de Google ou un autre modèle de Mistral”
D’un point de vue plus technique, quels sont les outils d’IA que vous utilisez ?
Alors aujourd'hui, on se base beaucoup sur les API de ChatGPT via Microsoft Azure France. Mais nous avons développé des couches logicielles qui nous rendent pratiquement agnostiques vis-à-vis des fournisseurs. C'est-à-dire que l'on peut switcher à la volée entre OpenAI, Gemini de Google ou un autre modèle de Mistral. Cette flexibilité nous permet de rester réactifs et d'adopter les meilleures technologies disponibles sans être liés à un seul fournisseur.
Comment abordez-vous la question de la gestion des données clients chez Pierre & Vacances et plus largement de l’éthique ?
Il y a d’abord l'approche réglementaire. Le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données), l’IA Act et le DMA (Digital Markets Act) constituent le cadre de base pour tout le monde. C'est le minimum requis et le cadre dans lequel nous devons opérer. Ensuite, en matière d'IA, il faut faire attention aux biais comme le racisme ou le sexisme et ces aspects sont évidemment pris très au sérieux. En réalité, sur l'éthique de l'utilisation de l'IA, il ne s'agit pas seulement de respecter les réglementations légales, mais de réfléchir à ce que nous nous autorisons ou non à faire. Par exemple, nous nous posons des questions sur des cas concrets : est-ce que demain on pourrait imaginer ne pas embaucher 2 personnes parce qu'on a mis en place un algorithme ? Il est très important de réfléchir à ce que nous nous permettons de faire, au-delà des simples interdictions. Cette réflexion éthique est un processus continu où nous évaluons ce que nous considérons acceptable ou non, même si nous avons les outils pour le faire. C'est dans cette réflexion proactive que nous avançons actuellement sur les questions éthiques.
On a parlé de la partie projet business de l'IA et il y a un autre volet plus en lien avec la productivité individuelle. Comment les salariés du groupe utilisent-ils les outils IA disponibles ?
Comme beaucoup d’entreprises, nous avons eu des premiers mois où tout était assez peu cadré parce que chacun expérimentait et essayait des choses. C'était cool de pouvoir montrer ce que chacun faisait dans son petit périmètre. Maintenant, évidemment, nous devons respecter les contraintes de sécurité pour éviter les fuites de données. Nous avons donc posé un cadre beaucoup plus clair sur ce qu'on peut faire ou ne pas faire en matière d'utilisation de l'IA. Ce que nous pouvons faire, c'est utiliser les technologies approuvées par le département informatique. Nous sommes clients de Microsoft, notamment avec Azure, qui nous propose des instances de ChatGPT où la confidentialité est garantie. Les modèles ne sont pas enrichis avec les questions posées et l'historique est effaçable très facilement. Nous avons alors un cadre de vie privée très respecté avec l'utilisation de ce type d'outil. La seule directive est donc d'utiliser l'outil dans un cadre défini par l'entreprise. Pour nous, cela signifie typiquement les services privés PVCP, comme les instances privées de ChatGPT par exemple. Et la question sera exactement la même demain si nous générons des images, du texte, du son…
Dans cet environnement sécurisé, chaque salarié a donc accès à ChatGPT dans son quotidien ?
Oui, aujourd'hui, l'accès à cette instance privée de ChatGPT est ouvert à tous. Par ailleurs, nous menons des pilotes sur l'utilisation des services d'IA intégrés dans la suite Microsoft. Par exemple, avec Teams, nous utilisons Copilot, qui aide à résumer les mails, planifier des réunions et offre d'autres facilités dans des outils comme Outlook et PowerPoint. Ces fonctionnalités sont actuellement expérimentées sur un petit nombre de personnes, principalement des directeurs, des assistants de direction et d'autres personnes sélectionnées en fonction de leurs responsabilités. L'objectif est de voir si ces nouveaux outils leur permettent de travailler plus rapidement, d'être plus précis et de réduire leur charge de travail. Il y a donc deux volets : une partie largement démocratisée avec l'accès à ChatGPT privé et une partie pilote pour améliorer les capacités de production, la planification et la gestion des communications par e-mail.
“Si un projet IA ne crée pas plus de valeur qu'un autre projet, il n'y a aucune raison de le privilégier”
Comment gères-tu l'intégration et la priorisation des projets IA ?
En ce qui concerne la priorisation, nous n'accordons pas de points bonus simplement parce qu'il s'agit d'un projet IA. Nous avons adopté un mode de fonctionnement agile et mixte entre les équipes data et les équipes métiers. Chaque équipe mixte a un Product Owner1 dont le rôle est d'identifier les cas d'usage qui créent le plus de valeur pour le métier et le business. Si un projet IA ne crée pas plus de valeur qu'un autre projet, il n'y a aucune raison de le privilégier. C'est vraiment une question de création de valeur.
As-tu une équipe IA dédiée pour piloter ces projets ?
Pour les projets IA, il n’y a pas d’équipe spécifique, ce sont les équipes projets qui s'en occupent avec des squads2 dédiées aux sujets CRM (Customer Relationship Management), marketing... Ces équipes font partie de mon département ainsi que de celui de la directrice commerciale et marketing. Pour la partie productivité individuelle, nous avons un petit groupe qui lance les expérimentations. Actuellement, environ 30 à 40 personnes ont été sélectionnées pour le pilote. Ces personnes nous font des retours sur l'utilisation des outils IA pour valider leur efficacité. Leur feedback nous permettra de décider si ces outils apportent une réelle valeur ajoutée.
“Je pense qu'il y aura ceux qui l'utilisent et ceux qui ne l'utilisent pas, c'est vraiment quelque chose qui est en train de changer nos vies”
Et pour terminer, comment utilises-tu l'IA au quotidien, que ce soit dans ta vie professionnelle ou personnelle ?
Dans ma vie “perso pro”, j'utilise l'IA tous les jours, et c'est pareil dans ma vie “perso perso” ! (rires) Pour te donner un exemple, en ce moment, je fais des travaux chez moi et j'ai décidé d'installer une pompe à chaleur. Lorsque l'artisan est venu, il m'a expliqué plein de choses techniques que je ne comprenais pas totalement. Alors, j'ai posé des questions basiques à ChatGPT en parallèle et j'ai comparé les réponses de l'IA avec celles de l'artisan. Cela m'a permis de creuser les informations et de challenger l'artisan sur ses explications. Cette anecdote illustre bien comment l'IA peut être utile au quotidien. Même sans avoir toutes les connaissances nécessaires, l'IA te permet de trouver rapidement des informations et de poser les bonnes questions. Ca enrichit les échanges que tu peux avoir avec des experts ou des professionnels, en te permettant d'avoir un dialogue plus informé et pertinent. C'est un outil précieux aussi bien dans ma vie personnelle que professionnelle et le gain de temps que ça procure est phénoménal. Je pense qu'il y aura ceux qui l'utilisent et ceux qui ne l'utilisent pas, c'est vraiment quelque chose qui est en train de changer nos vies.
Merci beaucoup à Christophe Vaudable d’avoir répondu à toutes ces questions avec sincérité et en nous partageant des cas d’usages très concrets 🙏
Quelques mots sur le groupe Pierre & Vacances - Center Parcs
Le groupe Pierre & Vacances-Center Parcs (PVCP) est un acteur majeur du tourisme en Europe qui propose une gamme très diversifiée de séjours et de locations de vacances. Ses principales marques incluent Pierre & Vacances, Center Parcs, Maeva et Adagio. Il compte près de 12 200 collaborateurs et un chiffre d’affaires de 1915 millions d’euros en 2022 / 2023 (source : groupepvcp.com).
Le groupe PVCP se démarque par son engagement en faveur du développement durable, en mettant en œuvre des initiatives pour réduire son empreinte écologique et soutenir les économies locales. Il propose des hébergements variés qui vont des résidences de vacances aux villages nature, en passant par des hôtels et des apparthôtels.
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☀️ Bel été à tous et rendez-vous en septembre !
— Nicolas
Le Product Owner est un responsable clé dans une équipe de développement agile. Il décide quelles fonctionnalités seront développées, en quelle priorité et s'assure que le produit final répond aux besoins des utilisateurs. Il communique avec les parties prenantes et l'équipe de développement pour garantir que tout le monde est aligné sur les objectifs du produit.
Une squad est une équipe multidisciplinaire autonome travaillant en cycles courts appelés sprints (1 à 3 semaines). Dirigée par un Product Owner, elle inclut des profils tech, data et business et se concentre sur des tâches spécifiques alignées sur des objectifs trimestriels (OKR). Les squads permettent une adaptation rapide et une livraison continue de valeur.
Super article et RETEX, merci Nicolas pour cette interview